Comme beaucoup de professionnels du secteur IT, je passe mes journées rivé à un écran, les doigts agiles sur le clavier, à produire des lignes de code ou des contenus numériques qui, souvent, s’évanouissent dans le néant dès que la connexion s’interrompt. Ce mode de vie sédentaire et dématérialisé, répété huit heures par jour, cinq jours par semaine, finit par user l’esprit bien au-delà de ce qu’un simple épuisement passager pourrait laisser croire.
Au fil des années, j’ai constaté chez moi et chez mes collègues une forme d’épuisement professionnel insidieux, distinct de la surcharge de travail classique. Les congés, bien que salutaires, ne suffisent pas à enrayer ce phénomène. En discutant avec d’autres travailleurs du numérique — développeurs, designers, rédacteurs —, j’ai réalisé que cette fatigue persistante, ce sentiment de vide ou d’inefficacité chronique, n’était pas lié à la quantité de tâches ou à leur monotonie. La cause est bien plus triviale, mais aussi plus profonde : c’est l’absence de contact avec le monde tangible, la déconnexion progressive entre le corps et l’esprit, et l’illusion que le travail intellectuel pur, sans ancrage physique, peut se suffire à lui-même.
Le problème ne réside pas tant dans l’intensité du travail que dans son caractère abstrait et désincarné. Le cerveau humain n’est pas conçu pour fonctionner en vase clos, coupé des stimuli sensoriels variés et des interactions sociales non médiées par des écrans. Les symptômes — difficulté à se concentrer, irritation inexplicable, sensation de tourner en rond — s’installent sournoisement. Certains attribuent cela à un manque de passion pour leur métier, mais la réalité est souvent autre : c’est le format même du travail, avec ses boucles infinies de résolution de problèmes virtuels, qui épuise les ressources mentales sans offrir de véritable satisfaction durable.
Pour contrer cette spirale, il ne s’agit pas forcément de réduire son temps de travail ou de changer de carrière, mais de réintroduire des rituels concrets dans sa routine. Marcher quotidiennement, même quelques minutes, pour rompre la sédentarité. Travailler debout de temps en temps, ou utiliser des objets physiques (un carnet, un stylo) pour noter des idées au lieu de tout taper. Créer des moments de transition entre le travail et la vie personnelle, comme un trajet à pied ou une activité manuelle, pour signaler au cerveau que la journée professionnelle est terminée. Enfin, cultiver des interactions humaines en dehors des échanges professionnels, ne serait-ce que pour rappeler à soi-même que le monde existe au-delà des pixels.
L’enjeu n’est pas de fuir le travail intellectuel, mais de le rééquilibrer. Le secteur IT, par sa nature même, pousse à l’hyperconnexion et à l’abstraction, mais c’est précisément pour cette raison qu’il exige une hygiène mentale rigoureuse. Prendre soin de sa santé psychique dans ce contexte, c’est accepter que l’esprit a besoin du corps, que la productivité ne se décrète pas sans limites, et que la raison se préserve d’abord en restant ancrée dans le réel — même quand on passe ses journées à le recréer en lignes de code.