Les grandes entreprises technologiques déployent massivement des bots automatisés pour aspirer les données disponibles sur le Web, afin d’alimenter leurs modèles d’intelligence artificielle. Ces outils, souvent invisibles pour les utilisateurs, parcourent systématiquement les sites, les forums, les réseaux sociaux et même les archives en ligne, copiant textes, images ou métadonnées sans toujours respecter les règles d’usage ou les conditions légales. Leur activité, bien que légitime en apparence, pose un problème croissant : elle sature les serveurs, ralentit l’accès aux contenus pour les internautes et génère des coûts supplémentaires pour les hébergeurs, sans qu’aucune compensation ne soit versée aux créateurs ou aux plateformes pillées.
L’ampleur du phénomène est telle que certains sites, notamment ceux à faible bande passante ou dépendants de ressources limitées, voient leurs performances se dégrader de manière significative. Les bots des géants comme Google, Meta ou OpenAI, conçus pour ingurgiter des quantités colossales de données, peuvent représenter jusqu’à 40 % du trafic total de certains sites, sans apporter la moindre valeur en retour. Les éditeurs de contenus, déjà fragilisés par la baisse des revenus publicitaires et la concurrence des réseaux sociaux, se retrouvent ainsi contraints de payer pour maintenir leurs infrastructures, tandis que les entreprises tech s’enrichissent en monétisant les données collectées via des services d’IA payants ou des publicités ciblées.
Les critiques soulignent aussi l’asymétrie des pouvoirs en jeu : les plateformes technologiques, fortes de leur influence et de leurs moyens financiers, imposent de fait leurs pratiques, tandis que les petits acteurs du Web n’ont ni les outils ni les ressources juridiques pour s’y opposer efficacement. Certains sites tentent de bloquer ces bots via des fichiers robots.txt ou des systèmes de détection, mais ces mesures restent souvent contournables, et les entreprises tech n’hésitent pas à adapter leurs algorithmes pour contourner les restrictions. Par ailleurs, la légalité de ces prélèvements massifs reste floue, notamment en Europe où le droit d’auteur et le RGPD pourraient, en théorie, limiter ces pratiques – mais leur application concrète se heurte à la complexité des juridictions et à la puissance des lobbies technologiques.
Face à ce constat, des voix s’élèvent pour réclamer une régulation plus stricte, voire un système de rémunération obligatoire pour l’utilisation des données, à l’image des droits versés aux artistes ou aux médias. Certains proposent aussi de développer des alternatives décentralisées, où les utilisateurs pourraient contrôler l’accès à leurs données et en tirer directement profit. Cependant, tant que les modèles économiques des géants du numérique reposeront sur l’exploitation gratuite et massive du Web, ces solutions peineront à s’imposer. Le débat soulève ainsi une question fondamentale : jusqu’où peut-on laisser des acteurs privés s’approprier collectivement les ressources numériques sans contrepartie, au risque d’épuiser l’écosystème même qui les fait prospérer ?