Jensen Huang, PDG de Nvidia, s’est imposé comme une figure centrale de la révolution technologique actuelle lors du sommet Winning the AI Race organisé à Washington le 23 juillet 2025. Son entreprise, spécialisée dans les puces graphiques et les accélérateurs d’IA, est devenue un acteur incontournable dans la course mondiale à l’intelligence artificielle, au point d’incarner à elle seule une partie des ambitions industrielles et géopolitiques des États-Unis. Les processeurs de Nvidia, comme les séries H100 ou Blackwell, dominent le marché des data centers et des supercalculateurs, alimentant les modèles d’IA les plus avancés, de Meta à Microsoft en passant par les laboratoires gouvernementaux. Cette hégémonie technologique place Huang en position de force face aux concurrents chinois et européens, tout en renforçant la dépendance des géants de la tech à l’égard de ses solutions.

La montée en puissance de Nvidia coïncide avec une période charnière pour l’économie américaine, marquée par le retour de politiques industrielles volontaristes sous l’administration Trump. Le gouvernement a multiplié les mesures pour soutenir les secteurs stratégiques, comme les semi-conducteurs, via des subventions massives (notamment le CHIPS and Science Act) et des tarifs douaniers protecteurs. Nvidia, déjà bénéficiaire de ces aides, a vu sa valorisation boursière exploser, dépassant les 3 000 milliards de dollars en 2025, ce qui en fait l’une des entreprises les plus valorisées au monde. Huang, souvent présenté comme un visionnaire pragmatique, a su tirer parti de ce contexte en alignant ses discours sur les priorités nationales, mêlant innovation technologique et souveraineté économique. Ses prises de position en faveur d’une « IA made in USA » résonnent particulièrement dans un climat de tensions commerciales avec la Chine, où les restrictions à l’exportation des puces américaines frappent durement des acteurs comme Huawei.

Pourtant, cette success story soulève des questions sur les risques d’une concentration excessive du pouvoir technologique entre les mains d’un seul acteur. Les critiques pointent le quasi-monopole de Nvidia sur les infrastructures d’IA, qui pourrait étouffer l’innovation chez les concurrents ou rendre les États et les entreprises captifs de ses tarifs. Certains experts mettent aussi en garde contre les bulles spéculatives dans le secteur, alimentées par l’enthousiasme autour de l’IA générative, alors que les applications concrètes peinent parfois à justifier les valorisations astronomiques. Huang, conscient de ces enjeux, mise sur une diversification aggressive, investissant massivement dans les robots autonomes, les véhicules intelligents et les jumeaux numériques pour les usines, afin de pérenniser la croissance de son empire.

Le sommet de Washington a également révélé les tensions sous-jacentes entre les ambitions privées de Nvidia et les objectifs géopolitiques américains. Si l’entreprise collabore étroitement avec le Pentagone pour des projets d’IA militaire, certains responsables craignent que sa domination ne crée des vulnérabilités stratégiques, notamment en cas de cyberattaques ou de pénuries de composants. Par ailleurs, la mainmise de Nvidia sur les technologies critiques interroge sur l’équilibre entre innovation et régulation, d’autant que l’Union européenne et la Chine accélèrent leurs propres plans pour réduire leur dépendance. Huang, lui, continue de défendre un modèle où la supériorité technologique prime sur les contraintes, arguant que la compétition mondiale ne laisse aucune place à la complaisance.

Au-delà des débats économiques et politiques, le parcours de Nvidia illustre une transformation plus large de l’industrie high-tech, où l’IA devient le nouveau pétrole et les puces, les pipelines du XXIe siècle. Le succès de l’entreprise reflète une époque où la maîtrise des infrastructures numériques détermine la puissance des nations, et où des dirigeants comme Huang incarnent à la fois les promesses et les dangers d’une économie de plus en plus dépendante de quelques géants technologiques. Alors que la course à l’IA s’accélère, Nvidia reste au cœur des paradoxes de cette révolution : moteur de progrès et symbole des inégalités qu’elle engendre, allié des États et acteur d’une mondialisation qu’elle contribue à redessiner.