Les entreprises technologiques étendent désormais leur influence vers un public particulièrement vulnérable : les jeunes enfants. Comme le souligne la journaliste Corine Lesnes, l’intelligence artificielle (IA) ne connaît pas de limites d’âge et s’invite dans leur quotidien sous des formes de plus en plus insidieuses. Parmi ces innovations figurent les « compagnons » numériques, conçus pour interagir avec les tout-petits en simulant une présence affective. Ces outils, souvent présentés comme des jouets ou des assistants bienveillants, exploitent les mécanismes de l’attachement pour créer une relation quasi émotionnelle entre l’enfant et la machine.
L’un des exemples les plus frappants est celui des chatbots déguisés en doudous ou en personnages familiers, capables de répondre aux questions, de raconter des histoires ou même de consoler. Ces dispositifs, dotés de voix douces et de réponses adaptées à l’âge, visent à combler un besoin de réconfort ou de divertissement, tout en collectant des données sur les comportements et les préférences des enfants. Lesnes met en garde contre cette intrusion, soulignant que ces interactions, bien que rassurantes en apparence, pourraient altérer le développement social des enfants en remplaçant partiellement les échanges humains par des dialogues avec des algorithmes.
Les enjeux éthiques sont majeurs, car ces technologies ciblent une tranche d’âge où la distinction entre réel et virtuel reste floue. Les enfants, naturellement enclins à anthropomorphiser les objets, risquent de s’attacher à ces compagnons artificiels sans mesurer les risques : dépendance, manipulation des émotions, ou encore exposition précoce à des modèles de langage parfois biaisés. Par ailleurs, les parents, souvent séduits par la promesse d’un outil éducatif ou pratique, sous-estiment les conséquences à long terme, comme la marchandisation de l’intimité enfantine ou la normalisation d’une surveillance constante.
Face à cette tendance, des voix s’élèvent pour réclamer un encadrement strict, voire une interdiction pure et simple de ces dispositifs pour les très jeunes enfants. Lesnes rappelle que plusieurs études en psychologie et en neurosciences alertent sur les effets néfastes d’une exposition prolongée aux écrans et aux interactions virtuelles avant 6 ans. Pourtant, le marché des IA « amies des enfants » continue de croître, porté par des géants de la tech qui misent sur l’argument du progrès et de l’innovation. La question reste entière : jusqu’où peut-on laisser l’IA s’immiscer dans l’univers affectif des enfants sans compromettre leur équilibre ?