Le projet Plant Futures, mené par l’artiste et chercheuse Annelie Berner, explore comment une fleur, la Circaea alpina, pourrait évoluer face aux bouleversements climatiques entre 2023 et 2100. À travers une approche mêlant science des données et création artistique, cette initiative donne vie à une série de modèles floraux générés algorithmiquement, chacun reflétant les conditions environnementales projetées pour une année donnée. L’objectif est de visualiser les adaptations potentielles d’une espèce végétale soumise à des stress croissants, tout en invitant le public à réfléchir aux conséquences à long terme du réchauffement climatique.

La Circaea alpina, une petite fleur des zones humides et ombragées, sert de point de départ à cette réflexion. Observée initialement dans la forêt primaire de Haltiala, près d’Helsinki, cette plante a vu sa présence se renforcer avec la hausse des températures, bien que son habitat — dépendant des épicéas et d’un sol humide — soit menacé par des pathogènes et l’assèchement des sols. Pour anticiper son évolution, Berner a collaboré avec des botanistes du musée Luomus, analysant des échantillons historiques remontant à 1906 afin d’établir des corrélations entre les variations climatiques (température, précipitations) et les traits morphologiques de la fleur, comme sa taille ou sa pigmentation.

Le processus créatif s’appuie sur une modélisation 3D dynamique, développée avec l’artiste Marcin Ignac. Chaque paramètre de la fleur — couleur, densité des veines, taille, présence de pigments ultraviolets ou même l’apparition d’une seconde couronne de pétales (double bloom) — est lié à des données climatiques futures, comme l’augmentation du CO₂, des températures ou des épisodes de sécheresse. Par exemple, une hausse des anthocyanes, des pigments rouges ou indigo, traduirait une réponse antioxidante à la sécheresse, tandis qu’une exposition accrue aux UV, due à la dégradation de la couche d’ozone, intensifierait les motifs protecteurs sur les pétales. Les incertitudes des modèles climatiques sont elles-mêmes intégrées, se matérialisant par des formes plus complexes ou des structures florales inédites.

Les projections illustrent une transformation progressive et radicale. En 2025, la fleur reste proche de sa forme actuelle, légèrement plus grande en raison d’un été plus chaud. Vers 2064, elle gagne en taille et en pétales, avec un motif central UV plus marqué, signe d’une adaptation à l’augmentation de l’ozone et du rayonnement solaire. En 2074, sa teinte vire au rose sous l’effet du stress hydrique, tandis que la double couronne de pétales persiste, reflétant l’instabilité des prévisions. À l’horizon 2100, ses veines deviennent plus denses, peut-être pour optimiser le transport d’eau en période de sécheresse, ou pour compenser la diminution des signaux olfactifs attirant les pollinisateurs, perturbés par la pollution de l’air. Ces fleurs « spéculatives » sont présentées dans des cubes de plexiglas, offrant une vue comparative de leur évolution sur près d’un siècle.

Au-delà de sa dimension esthétique, Plant Futures souligne le rôle des végétaux comme indicateurs silencieux des déséquilibres environnementaux. En traduisant des données abstraites en formes tangibles, le projet rend perceptibles les pressions exercées sur les écosystèmes, tout en questionnant notre capacité à imaginer — et peut-être à influencer — le vivant de demain. Il rappelle que chaque pétale, chaque nuance, porte l’empreinte d’un climat en mutation, et que leur survie dépendra autant de leur plasticité biologique que des choix humains face à la crise écologique.