En 1915, lorsque Kazimir Malevitch présente son Carré noir, l'œuvre est perçue comme une provocation et une fin de l'art dans le contexte de la peinture figurative de l'époque. Pourtant, avec le recul du XXIe siècle, cette œuvre apparaît comme une anticipation visionnaire du concept de pixel, cette unité minimale qui constitue la base de toutes les images numériques contemporaines. Malevitch a ainsi fixé dans l'art un principe fondamental de la digitalisation plusieurs décennies avant que le terme n'émerge, à une époque où l'humanité se préoccupait davantage d'électrification que de numérique.

L'article développe l'analogie entre le Carré noir et les concepts numériques : comme le zéro en mathématiques a ouvert la voie aux calculs infinis, le carré de Malevitch représente le point zéro de l'art d'où peut naître un nouvel univers de formes. De même que les physiciens ont découvert les particules élémentaires, Malevitch a identifié le module élémentaire de l'image, préfigurant le bit informatique qui contient la dualité 0/1. Contrairement au Bauhaus qui simplifiait les formes vers des géométries basiques ou aux dadaïstes qui niaient le sens, Malevitch opérait une mise à zéro permettant l'émergence d'un nouveau langage visuel.

Cette vision positionne Malevitch non seulement comme un artiste d'avant-garde mais comme un prophète de la civilisation numérique, capable de capter par l'intuition artistique ce que la science n'avait pas encore conceptualisé. L'article souligne comment l'art peut ainsi devancer la technologie, fonctionnant comme une antenne captant l'avenir, où la pensée et l'illumination précèdent souvent la méthode scientifique. Malevitch, bien que considéré comme un dilettante par certains philosophes de son temps, a su engendrer une vérité fondamentale sur la nature discrète de la réalité, démontrant que l'art peut révéler des principes universels avant même leur formalisation technique.