Le débat autour de la protection des développements open source et de l’opportunité de les breveter soulève des questions juridiques et stratégiques complexes. L’open source, défini par un code accessible, modifiable et redistribuable sous licence ouverte, peut paradoxalement faire l’objet d’une protection formelle auprès des autorités compétentes. En Russie, cette protection passe principalement par l’enregistrement des programmes auprès du Rospatent, une démarche adoptée par des entreprises et particuliers pour sécuriser leurs créations tout en conservant leur caractère ouvert.

Plusieurs exemples illustrent cette pratique. La Programme de gestion des outils open-source intelligence, développée par Vadim Goureev, vise à renforcer la sécurité de l’information et la collecte de données. De même, la plateforme Open Source Algo Trading Platform, créée par la société Van Technologii, automatise les opérations boursières en offrant des outils de backtesting et d’optimisation des stratégies. Enfin, FlowPoint Open Source Edition, conçue par Skaiori, simplifie la gestion documentaire et l’automatisation des processus métiers grâce à des modules intégrés. Ces registrations permettent aux auteurs de prouver leur paternité sans restreindre l’accès au code, mais elles restent limitées à une reconnaissance administrative sans équivalent en termes de protection industrielle.

À l’inverse, le brevetage des logiciels open source, bien que marginal en Russie, est une stratégie courante à l’étranger, notamment aux États-Unis. Des entreprises comme Cloud Linux Software, détentrice de sept brevets liés à l’open source, ou Mozilla, qui en possède plus d’une dizaine (portant sur des technologies comme la quantification vectorielle pour la vidéo ou des filtres anti-artéfacts), montrent comment les géants du secteur combinent protection intellectuelle et ouverture. Un cas emblématique est celui de Microsoft avec son système de fichiers exFAT : bien que breveté, il a été intégré au noyau Linux après une autorisation légale, démontrant qu’un brevet peut coexister avec une licence open source sous certaines conditions.

Les licences open source intègrent souvent des clauses spécifiques pour encadrer l’usage des brevets. La licence Apache 2.0, par exemple, inclut un Grant of Patent License : les contributeurs accordent une licence gratuite et irrévocable sur leurs brevets, à condition que ceux-ci soient nécessaires à l’utilisation du projet. Cette disposition vise à prévenir les litiges, comme le précise la Cloud Native Computing Foundation (CNCF), qui salue ce mécanisme pour son rôle dans la promotion de la collaboration. En revanche, si un utilisateur attaque un autre membre de la communauté en justice, il perd automatiquement ses droits sur les brevets concernés, créant ainsi un système d’autorégulation.

Cette dualité révèle une approche contrastée entre les pays. D’un côté, les grandes corporations occidentales utilisent les brevets comme un levier stratégique, les « ouvrant » sélectivement pour favoriser l’adoption de leurs technologies tout en conservant un contrôle juridique. De l’autre, les développeurs open source cherchent à se prémunir contre les abus via des licences protectrices, sans toujours recourir au brevetage. En Russie, la protection se limite souvent à l’enregistrement auprès du Rospatent, reflétant un écosystème moins mature en matière de propriété intellectuelle appliquée à l’open source. Cette divergence soulève une question centrale : faut-il systématiquement breveter pour protéger l’innovation ouverte, ou les licences et registrations suffisent-elles à garantir à la fois la sécurité juridique et l’esprit collaboratif de l’open source ?