À 37 ans, Pavel Karenine, ancien propriétaire d’une entreprise d’huîtres à Saint-Pétersbourg, raconte son parcours : après avoir atteint un chiffre d’affaires de 20 millions de roubles par an, fourni des réseaux de restaurants prestigieux comme Ginza Project et des hôtels comme l’Astoria, et mis en place un service de livraison express d’huîtres ouvertes en 60 minutes, il se retrouve aujourd’hui endetté de 5 millions et contraint de fermer son activité pour retourner salarié. Son récit, teinté d’auto-dérision, interroge les pièges d’un entrepreneuriat inspiré par les coachs en développement personnel, dont les conseils, bien que motivants, se sont révélés insuffisants face aux réalités économiques.
L’aventure commence en 2017, à 32 ans, lorsque Karenine, inspiré par des figures comme Tony Robbins et un forum entrepreneurial, quitte son emploi pour se lancer dans la vente d’huîtres et d’oursins. Obsédé par la qualité, il investit 800 000 roubles dans un aquarium sophistiqué, contrôle méticuleusement chaque détail (odeur, texture, absence de fragments de coquille) et écarte sans hésiter les produits défectueux. Son associé, chargé des ventes, abandonne rapidement le projet en emportant une partie du stock et le véhicule de livraison acheté d’occasion, laissant Karenine seul face aux dettes. Le business repose sur un produit à haut risque : les huîtres, filtrant l’eau, peuvent véhiuler des norovirus si mal sourcées. Malgré des précautions extrêmes (stérilisation UV, changement fréquent de l’eau), les incidents d’intoxication obligent à des rappels coûteux et minent la réputation.
Les défis logistiques et administratifs s’accumulent. Les livreurs, sous-traités via Yandex ou des plateformes low-cost, multiplient les erreurs (retards, incompréhensions linguistiques), forçant l’entreprise à offrir des compensations onéreuses (19 000 roubles en bouteilles de prosecco en 2022). Les arnaques des fournisseurs – certains vendant des huîtres de mauvaise qualité malgré des promesses – et les problèmes d’approvisionnement (8 % des commandes finissent au rebut) alourdissent les coûts. Deux expulsions successives de locaux, dont une pour non-respect d’un préavis envoyé par voie électronique (un canal que Karenine négligeait de surveiller), illustrent une gestion administrative défaillante. Pendant ce temps, les marges fondent : en 2022, année record avec 20 millions de chiffre d’affaires, le bénéfice net n’atteint que 1,9 million, soit 158 000 roubles par mois. Après déduction des remboursements de crédits (1,3 million par an), il ne reste que 50 000 roubles mensuels – un salaire dérisoire au regard du stress et des 70 heures hebdomadaires investies.
La pandémie offre un répit temporaire en poussant l’entreprise vers les particuliers, via les réseaux sociaux, lorsque les restaurants ferment. Mais en 2023, la baisse des ventes et la hausse des coûts (livraison, main-d’œuvre, dettes) rendent la situation intenable. Malgré le soutien de clients fidèles – certains proposant même des dons ou des investissements après l’annonce de la fermeture –, Karenine choisit de mettre fin à l’aventure. Il pointe plusieurs erreurs : une confiance excessive dans les coachs, dont les conseils génériques (comme "poser les bonnes questions" ou "faire confiance à son intuition") n’ont pas préparé aux réalités opérationnelles ; un manque de diversification des revenus (les plateformes comme Yandex.Eda prevaient 15 % de commission pour un volume faible) ; et une sous-estimation des risques financiers, notamment l’endettement initial. Aujourd’hui en quête d’un poste de responsable des ventes, il tire un bilan amer : le titre de "chef d’entreprise" n’a pas compensé les sacrifices, et les 50 000 roubles mensuels nets ne justifiaient pas l’usure physique et mentale. Son histoire, partagée sur un blog dédié aux échecs entrepreneuriaux, sert d’avertissement aux aspirants patrons : derrière les succès apparents se cachent souvent des équilibres financiers précaires et des pièges logistiques sous-estimés.