Une équipe de scientifiques en Suisse, notamment ceux de la laboratoire FinalSpark, explore une frontière révolutionnaire entre biologie et informatique en développant des « mini-cerveaux » humains cultivés en laboratoire pour créer des ordinateurs biologiques. Ces structures, appelées organoïdes cérébraux, sont obtenues à partir de cellules souches dérivées de peau humaine anonyme, achetées auprès de cliniques japonaises. Bien que bien moins complexes qu’un cerveau humain, ces amas de neurones et de cellules gliales, cultivés pendant plusieurs mois, peuvent être connectés à des électrodes pour former un système capable de réagir à des stimuli électriques simples.
Lors d’une démonstration, un journaliste a pu observer comment ces organoïdes, plongés dans une solution nutritive, réagissaient à des impulsions envoyées via un clavier. Les signaux électriques, visualisés sous forme de graphiques ressemblant à des électroencéphalogrammes, montraient parfois des pics d’activité inexpliqués, comme une réponse inattendue ou un « épuisement » du système. Le docteur Fred Jordan, cofondateur de FinalSpark, admet que les mécanismes sous-jacents restent mystérieux : les organoïdes peuvent soudainement cesser de fonctionner ou, au contraire, manifester une hyperactivité avant leur mort, un phénomène comparé aux sursauts d’activité cérébrale observés chez certains humains en fin de vie. Ces « décès » fréquents, survenant après environ quatre mois de survie, obligent les chercheurs à recommencer leurs expériences, tout en accumulant des données pour comprendre comment prolonger leur durée de vie.
Le défi majeur réside dans l’alimentation de ces structures biologiques. Contrairement aux ordinateurs traditionnels, les organoïdes n’ont pas de système vasculaire pour distribuer les nutriments, une limitation soulignée par Simon Schulz, professeur en neurotechnologie à l’Imperial College de Londres. Sans vascularisation, leur croissance et leur fonctionnement restent limités, ce qui en fait un obstacle technique crucial. Malgré cela, les chercheurs insistent sur le potentiel de cette technologie, qu’ils qualifient de « wetware » (littéralement « logiciel humide »), par opposition au hardware classique. Pour eux, ces systèmes ne doivent pas être craints, mais considérés comme une alternative biologique aux puces en silicium, avec des applications encore à définir.
Les perspectives d’application varient selon les équipes. FinalSpark envisage des centres de données équipés de serveurs biologiques, capables d’imiter certains aspects de l’apprentissage de l’IA tout en consommant bien moins d’énergie que les supercalculateurs actuels. D’autres laboratoires, comme Cortical Labs en Australie, ont déjà réussi à faire jouer des neurones artificiels à Pong, tandis qu’aux États-Unis, des chercheurs de l’université Johns Hopkins utilisent des mini-cerveaux pour étudier des maladies neurologiques comme Alzheimer ou l’autisme. Cependant, la plupart des experts, dont la docteure Lena Smirnova, estiment que cette technologie en est encore à ses balbutiements. Elle ne remplacera pas le silicium à court terme, mais pourrait le compléter, notamment en réduisant le recours aux tests sur animaux et en accélérant la modélisation de pathologies.
Au-delà des enjeux techniques, ce projet soulève des questions philosophiques et éthiques. Le docteur Jordan, passionné de science-fiction, voit dans ces recherches une réalisation de récits futuristes, où la frontière entre machine et organisme vivant s’estompe. Si les bioprocesseurs ne surpasseront probablement jamais les performances du silicium dans certains domaines, ils pourraient trouver leur place dans des niches spécifiques, comme le suggère Simon Schulz. Entre fascination et pragmatisme, ces scientifiques écrivent une page inédite de l’informatique, où la biologie devient un matériau de calcul à part entière.