Marcin Jakubowski, fondateur d’Open Source Ecology, consacre sa vie à un projet ambitieux : le Global Village Construction Set (GVCS), une collection open-source de cinquante machines essentielles pour reconstruire une civilisation autonome, du tracteur à l’imprimante 3D en passant par des modules d’habitation. Ce Polonais émigré aux États-Unis, titulaire d’un doctorat en physique, a renoncé à une carrière académique ou corporative pour prouver que l’abondance durable était accessible. Après l’échec de sa ferme dans le Missouri, où les pannes répétées de son tracteur John Deere – impossible à réparer lui-même en raison des restrictions des fabricants – l’ont ruiné, il a compris que l’autonomie passait par la maîtrise technologique. Les géants agricoles, en verrouillant les réparations, maintiennent les agriculteurs dans une dépendance coûteuse (1,2 milliard de dollars de frais annuels aux États-Unis), un système que Jakubowski qualifie d’« esclavage technologique ».
Inspiré par le modèle collaboratif de Linux, il a conçu des machines modulables, comme des briques Lego, dont les plans sont librement accessibles en ligne. Le Power Cube, une unité hydraulique polyvalente, peut ainsi alimenter une scierie, une presse à briques ou une éolienne, tandis que les structures des micro-maisons servent aussi à construire des turbines. Contrairement aux utopies technologiques des années 1970, comme le Whole Earth Catalog de Stewart Brand – qu’il critique pour son manque d’ouverture réelle (Buckminster Fuller brevetait ses dômes géodésiques) –, Jakubowski insiste sur la collaboration distribuée. Son approche s’appuie sur le concept de « technologie appropriée », popularisé par l’économiste E.F. Schumacher : des outils simples, locaux et durables, adaptés aux ressources disponibles, comme des pompes à eau manuelles ou des lampes solaires. Pour lui, cette philosophie doit s’appliquer même dans les sociétés industrialisées, où la dépendance aux chaînes d’approvisionnement mondiales (un jacuzzi nécessite des pièces de 14 États et 7 pays) rend les communautés vulnérables.
Le défi est de taille : contrairement au logiciel, le matériel exige des matériaux spécifiques, une documentation précise et une infrastructure de fabrication. Mais en utilisant des composants standardisés et des matériaux recyclés, Jakubowski vise une reproduction décentralisée. Son objectif ? Permettre à quiconque de produire nourriture, abri, énergie ou biens de consommation localement, à l’exception des produits exotiques comme les semi-conducteurs avancés. Une vision radicale, où la technologie n’est plus un outil de contrôle, mais un levier d’émancipation collective. « La vraie prospérité, affirme-t-il, vient de la capacité à créer, pas à consommer. » Son tracteur open-source, conçu pour être démonté et adapté, symbolise cette révolution : une machine qui n’appartient pas à son utilisateur, mais que l’utilisateur possède vraiment.